Points clés à retenir
Incompatibilité entre TUP et inaliénabilité des actifs : La TUP ne peut s'appliquer lorsque le plan de redressement prévoit l'inaliénabilité de certains actifs essentiels.
Respect des dispositions du plan : Les engagements pris dans le cadre du plan de redressement ont un caractère impératif et doivent être strictement respectés.
Capacité juridique de la société : La société conserve sa capacité à agir en justice pour les besoins de l'exécution du plan, même en cas de dissolution.
Possibilités de modifications : Des solutions alternatives existent, mais elles requièrent l'intervention du tribunal et le respect des procédures légales spécifiques aux procédures collectives.
La dissolution d'une société unipersonnelle et la transmission universelle de son patrimoine (TUP) à l'associé unique sont des mécanismes bien établis en droit français. Toutefois, lorsque cette société est soumise à un plan de redressement judiciaire prévoyant l'inaliénabilité de certains actifs, des complexités juridiques émergent.
Cet article vise à éclairer cette problématique en s'appuyant sur la jurisprudence récente et les dispositions légales pertinentes.
Introduction à la TUP et au plan de redressement
La transmission universelle du patrimoine est prévue par l'article 1844-5 du Code civil. Lorsque toutes les parts sociales d'une société sont réunies en une seule main et que la dissolution est prononcée, l'ensemble du patrimoine social est transmis à l'associé unique sans qu'il y ait lieu à liquidation.
Le plan de redressement judiciaire, quant à lui, est régi par le Code de commerce, notamment aux articles L.626-1 et suivants. Il a pour objectif de permettre à une entreprise en difficulté de poursuivre son activité, maintenir l'emploi et apurer son passif.
La question se pose alors : que se passe-t-il lorsque la dissolution d'une société unipersonnelle intervient alors qu'un plan de redressement prévoyant l'inaliénabilité de certains actifs est en cours d'exécution ?
Le conflit entre TUP et inaliénabilité des actifs
Cas pratique : analyse d'une jurisprudence récente (2 Octobre 2024)
Une société a été mise en redressement judiciaire, et un plan de redressement a été arrêté, prévoyant l'inaliénabilité de son fonds de commerce pendant une durée déterminée. Par la suite, toutes les parts sociales ont été réunies en une seule main, et une dissolution anticipée a été prononcée.
La problématique était de déterminer si la TUP pouvait s'appliquer malgré la clause d'inaliénabilité du fonds de commerce prévue par le plan de redressement.
Position de la Cour de cassation
Dans un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 octobre 2024, la Haute Juridiction a statué que :
« La dissolution d'une société dont toutes les parts sociales sont réunies en une seule main, intervenue au cours de l'exécution d'un plan de redressement prévoyant l'inaliénabilité de son fonds de commerce, n'entraîne pas la transmission universelle de son patrimoine à l'associé unique. »
Justifications juridiques
Primauté des dispositions d'ordre public : Les mesures prévues par le plan de redressement ont un caractère impératif. L'inaliénabilité du fonds de commerce vise à protéger les intérêts des créanciers et à assurer la pérennité de l'entreprise.
Incompatibilité avec la TUP : La transmission universelle du patrimoine impliquerait le transfert d'actifs déclarés inaliénables, ce qui contredirait les termes du plan de redressement et les dispositions légales en matière de procédures collectives.
Analyse juridique approfondie
Le principe de l'inaliénabilité des actifs en redressement judiciaire
Selon l'article L.626-14 du Code de commerce, le tribunal peut, lors de l'homologation du plan de redressement, décider que certains actifs de la société seront inaliénables pendant la durée du plan. Cette mesure vise à empêcher la cession d'éléments essentiels à l'activité de l'entreprise, garantissant ainsi la satisfaction des créanciers et la réussite du plan.
La TUP en contradiction avec l'inaliénabilité
La TUP, telle que prévue par l'article 1844-5 du Code civil, entraîne la transmission automatique de l'ensemble du patrimoine social à l'associé unique, sans liquidation. Or, si certains actifs sont déclarés inaliénables, cette transmission ne peut juridiquement avoir lieu sans contrevenir aux dispositions du plan de redressement.
Jurisprudence antérieure
La Cour de cassation avait déjà affirmé, notamment dans un arrêt du 12 juillet 2005, que la TUP ne s'applique pas lorsque la société est en procédure collective. Le patrimoine social doit être cédé ou réalisé conformément aux règles spécifiques du redressement ou de la liquidation judiciaire, qui sont d'ordre public.
Conséquences pratiques pour les sociétés et les associés
Impossibilité de dissolution avec TUP pendant le plan de redressement
Les sociétés soumises à un plan de redressement prévoyant l'inaliénabilité de certains actifs ne peuvent procéder à une dissolution entraînant une TUP. Elles doivent respecter les engagements pris envers les créanciers et les dispositions du plan jusqu'à son terme ou jusqu'à une éventuelle modification autorisée par le tribunal.
Maintien de la personnalité morale et de la capacité juridique
Même en cas de dissolution, la société conserve sa personnalité morale pour les besoins de la liquidation. Dans le contexte d'un plan de redressement, elle reste en mesure d'agir en justice, notamment pour la défense de ses droits et l'exécution du plan, éventuellement représentée par un mandataire ad hoc.
Responsabilité des dirigeants et de l'associé unique
Les dirigeants et l'associé unique doivent faire preuve de vigilance. En tentant de contourner les dispositions du plan de redressement par une dissolution suivie d'une TUP, ils s'exposent à des sanctions civiles et pénales, notamment en cas de préjudice causé aux créanciers.
Alternatives et solutions possibles
Modification du plan de redressement
Il est envisageable de solliciter une modification substantielle du plan de redressement, conformément à l'article L.626-26 du Code de commerce. Cette procédure nécessite l'accord du tribunal et doit démontrer que les modifications proposées ne portent pas atteinte aux droits des créanciers.
Fusion-absorption
Le Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés (CCRCS) a admis la possibilité pour une société en plan de redressement d'être absorbée par une autre, à condition que cette opération soit prévue par le plan initial ou qu'elle ait été autorisée par le tribunal. Cette solution permet une transmission du patrimoine dans le respect des règles applicables aux procédures collectives.
Liquidation judiciaire
Si le plan de redressement échoue ou ne peut être poursuivi, la société peut être mise en liquidation judiciaire. Les actifs, y compris ceux initialement déclarés inaliénables, seront alors réalisés sous le contrôle du liquidateur, et les créanciers seront désintéressés selon l'ordre légal des privilèges.
Conclusion
La situation où une société souhaite procéder à une TUP alors qu'elle est soumise à un plan de redressement prévoyant l'inaliénabilité de certains actifs soulève des enjeux juridiques délicats. La jurisprudence récente confirme que la TUP est inapplicable dans ce contexte, afin de protéger les intérêts des créanciers et de garantir l'exécution du plan.
Il est donc essentiel pour les dirigeants et les associés de consulter un avocat spécialisé en droit des entreprises en difficulté à Versailles avant d'engager toute démarche de dissolution ou de transmission du patrimoine. Une analyse approfondie permettra d'identifier les solutions adaptées, tout en respectant les obligations légales et les engagements pris envers les créanciers.
Références légales
Code de commerce :
Article L.631-1 et suivants (procédure de redressement judiciaire)