Ce qu’il faut retenir de la requalification d’une cession de droit au bail en cession de fonds de commerce
La jurisprudence récente rappelle que la cession d’un droit au bail peut être requalifiée en cession de fonds de commerce lorsqu’elle s’accompagne d’un transfert d’éléments essentiels de l’activité, même partiel. L’administration, comme le juge, examine la réalité économique de l’opération au-delà de sa forme juridique.
À retenir :
Une cession de droit au bail peut être fiscalement requalifiée en cession de fonds si elle inclut des éléments tels que la clientèle ou les salariés.
Le faisceau d’indices (local, clientèle, salariés, fournisseur commun) permet à l’administration de reconstituer une transmission économique.
Une requalification entraîne des conséquences fiscales lourdes : réintégration à l’actif, rappel d’impôt, application de pénalités.

Dans un arrêt du 7 février 2024, confirmé par le Conseil d’État le 23 décembre 2024, la cour administrative d’appel de Paris illustre à nouveau les risques fiscaux liés à la cession d’un droit au bail lorsque celle-ci s’inscrit en réalité dans une transmission plus large d’un fonds de commerce.
Cette décision rappelle que, même en l’absence de cession formelle de clientèle ou d’éléments corporels, l’administration fiscale peut requalifier l’opération au regard d’un faisceau d’indices convergents.
Requalification d’une cession de droit au bail : une analyse fondée sur la réalité économique
Le droit fiscal et commercial face à la dissimulation d’une cession de fonds
En principe, la cession d’un fonds de commerce suppose le transfert de plusieurs éléments essentiels de l’activité, au premier rang desquels figure la clientèle. À l’inverse, une cession de droit au bail ne concerne que le contrat de location portant sur les locaux commerciaux. Toutefois, il arrive que, derrière l’apparente cession d’un simple droit au bail, se cache en réalité une transmission partielle ou totale de l’activité.
L’administration fiscale est alors en droit d’opérer une requalification, en vertu du principe selon lequel les actes doivent être interprétés selon leur véritable nature juridique et économique.
La jurisprudence constante de la Cour de cassation et de la doctrine administrative
Selon une jurisprudence bien établie (Cass. com. 14 avr. 1992, n° 89-20.908 ; Cass. com. 3 mai 1995, n° 92-18.100), la cession de droit au bail est considérée comme une cession de fonds de commerce lorsqu’elle s’accompagne, même partiellement, de la vente de la clientèle.
La doctrine administrative va dans le même sens. Le BOFiP précise que la cession du droit au bail à un commerçant appelé en fait à recueillir la clientèle attachée aux locaux doit être regardée comme une transmission de fonds (BOI-ENR-DMTOM-10-10-10, n° 150).
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L’affaire TM Group : une illustration marquante du pouvoir de requalification
Les faits : une cession de droit au bail... et bien plus
Dans cette affaire, la société TM Group avait acquis en apparence un droit au bail portant sur un local commercial précédemment occupé par la société Top Mondial. L’administration, après contrôle, a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une simple cession de bail, mais d’une transmission dissimulée de fonds de commerce, ce qui entraînait des conséquences fiscales lourdes : rappel de TVA, impôt sur les sociétés, amende, réintégration à l’actif.
Les éléments retenus pour caractériser la requalification
La cour administrative d’appel a retenu plusieurs indices convergents, démontrant un transfert économique réel d’activité :
Transfert de clientèle partielle : la cessionnaire a réalisé un chiffre d’affaires significatif avec les anciens clients de la cédante, équivalent à la baisse enregistrée par cette dernière.
Absence de démarchage prouvé : aucun élément ne permettait de conclure à une reconquête active des clients par la société cessionnaire.
Identité d’objet social et de fournisseur principal : les deux sociétés avaient une activité similaire et s’approvisionnaient auprès du même fournisseur.
Reprise de salariés : la cessionnaire avait embauché trois anciens salariés de la société cédante.
Occupation des mêmes locaux : la société TM Group s’était installée dans les locaux précédemment utilisés par la société Top Mondial, et avait repris également son dépôt.
Autant d’éléments qui ont conduit l’administration et le juge à requalifier l’opération en cession de fonds de commerce.
Conséquences fiscales de la requalification en cession de fonds de commerce
Une rectification de l’actif net imposable
Lorsqu’une cession de fonds de commerce est occultée, l’administration est en droit de réintégrer à l’actif de la société cessionnaire la valeur vénale du fonds acquis, sur le fondement de l’article 38 du CGI relatif à la définition du bénéfice imposable.
Cette rectification génère une imposition immédiate sur la plus-value latente non comptabilisée, ainsi qu’un éventuel rehaussement de la TVA due sur la cession.
Des sanctions complémentaires
En l’espèce, l’administration a appliqué une amende pour manquement délibéré fondée sur le II de l’article 1737 du CGI, dispositif visant la dissimulation d’un acte soumis à formalité ou à enregistrement.
La jurisprudence du Conseil d’État (CE, 23 déc. 2024, n° 493163) est venue confirmer l’analyse de la cour administrative d’appel, rejetant le pourvoi de la société TM Group et entérinant ainsi l'ensemble des conséquences fiscales.
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Précautions à prendre pour éviter la requalification
Face à une opération de cession de bail, il est impératif de délimiter clairement le périmètre de la transaction. À défaut, le risque de requalification peut avoir des effets dévastateurs sur le plan fiscal.
Voici quelques recommandations concrètes :
Rédiger un acte de cession précis, en excluant expressément tout transfert de clientèle ou d’éléments du fonds ;
Documenter l’absence de continuité commerciale entre les deux sociétés (secteurs différents, fournisseurs distincts, absence de salariés repris) ;
Éviter l’occupation immédiate des mêmes locaux, ou justifier cette continuité par des motifs indépendants de la transmission ;
Conserver les preuves de démarchage de nouveaux clients par la société cessionnaire ;
En cas de doute, envisager un enregistrement volontaire comme cession de fonds, avec application des droits afférents.
Pour les acquéreurs : prudence et accompagnement juridique
L’acheteur qui croit n’acquérir qu’un droit au bail peut, en réalité, être redevable d’impôts substantiels. Il est donc essentiel de solliciter l’avis d’un avocat en droit des affaires ou droit des sociétés à Versailles ou d’un expert-comptable en amont, afin de s’assurer de la nature réelle de la transaction et d’en tirer les conséquences juridiques et fiscales adéquates.
Entre bail et fonds de commerce, la ligne est parfois fine
L’arrêt commenté rappelle, une fois encore, que la qualification donnée par les parties à un acte ne lie ni l’administration ni le juge. Ce qui compte, c’est la réalité économique de l’opération.
La requalification d’une cession de droit au bail en cession de fonds de commerce peut entraîner des conséquences fiscales considérables. Elle invite les entreprises à une grande prudence, tant dans la rédaction des actes que dans la stratégie commerciale mise en œuvre.
À l’heure où les restructurations commerciales sont fréquentes et où les opérations intra-groupes se multiplient, cette jurisprudence appelle à une rigueur accrue dans l’analyse des transferts d’activité, même partiels.