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Photo du rédacteurLe Bouard Avocats

L’obligation de conseil du vendeur professionnel : un devoir d’information renforcé

Lorsqu’un professionnel commercialise un bien dont la destination présente certaines spécificités, il ne saurait se contenter d’une simple vente « clé en main » sans se soucier de l’adéquation entre le produit proposé et les besoins exprimés par son client.


Le vendeur, en tant que spécialiste, se trouve en effet investi d’une obligation de conseil dont la portée va bien au-delà d’une présentation sommaire de l’article vendu. À ce titre, il lui incombe d’analyser soigneusement les attentes et les contraintes de l’acheteur, puis de le renseigner quant aux conditions d’utilisation, à l’entretien requis et à la pérennité du produit dans l’environnement d’exploitation envisagé.


L’enjeu est important, car un manquement à cette obligation peut entraîner la remise en cause de la validité même de la vente. L’arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2024 (Cass. com. 16-10-2024 n° 23-15.992 F-D) illustre clairement ce principe, réaffirmant que c’est au vendeur de prouver qu’il a rempli son devoir avant la conclusion du contrat.



devoir d'information du vendeur.


À travers cette décision, la Haute juridiction confirme que la protection de l’acheteur professionnel n’est pas un vain mot, et invite les vendeurs à davantage de rigueur, de précision et de transparence.

Le cadre juridique de l’obligation de conseil


La mise en avant de l’obligation de conseil s’inscrit dans un contexte législatif et jurisprudentiel destiné à moraliser les rapports commerciaux. L’idée directrice est que l’information et la loyauté contractuelle ne doivent pas être occultées lorsque les parties ne disposent pas du même niveau de compétence technique.


Le droit français, à travers le Code civil, la jurisprudence et des principes généraux du droit des contrats, impose dès lors une vigilance renforcée au vendeur professionnel.



Les fondements légaux


Les articles issus de l’ancien droit des contrats (tels que les articles 1134, 1135, et 1147 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) ont traditionnellement servi de fondement à l’obligation de conseil.


Malgré la réforme du droit des contrats intervenue en 2016, l’esprit demeure identique : l’exécution de bonne foi du contrat (art. 1104 du Code civil) et le devoir d’information précontractuelle (art. 1112-1 du Code civil) incluent désormais, d’une façon plus explicite, la nécessité pour le vendeur de veiller à l’adéquation du bien offert avec l’usage prévu par l’acheteur.


La jurisprudence récente


La décision de la chambre commerciale du 16 octobre 2024 précitée en est une démonstration probante. Reprenant les orientations déjà tracées par la première chambre civile de la Cour de cassation, elle consolide l’exigence selon laquelle le vendeur doit non seulement s’informer des besoins du client, mais aussi l’avertir clairement des limites éventuelles du produit, tant sur le plan de la résistance matérielle que sur celui de l’entretien requis.


Les Hautes juridictions rappellent régulièrement que, si le vendeur est professionnel, c’est à lui de faire preuve de diligence afin de s’assurer que l’acheteur dispose de toutes les informations nécessaires.

Le contenu concret de l’obligation de conseil


Cette obligation de conseil n’est pas un concept abstrait. Elle implique une démarche proactive du vendeur, qui doit se renseigner et proposer des produits adaptés aux conditions d’exploitation indiquées par l’acquéreur.





L’exigence d’information préalable


Le vendeur doit avant tout s’enquérir de l’usage exact que l’acheteur entend faire du bien. Par exemple, un hôtelier qui envisage d’installer du mobilier sur une terrasse en bord de mer requiert des équipements résistants aux embruns, à l’humidité et au sel.


Le vendeur devra informer l’acquéreur de la nécessité d’entretenir ce mobilier, de le traiter périodiquement avec un produit antirouille ou hydrofuge, et éventuellement de le stocker à l’abri lors des intempéries. Il doit souligner clairement que sans entretien régulier, le matériel risque de se dégrader prématurément.


L’adaptation du bien aux besoins de l’acheteur


L’obligation de conseil impose également au vendeur de refuser la vente ou d’en déconseiller la finalisation si le produit proposé n’est pas réellement conforme aux contraintes du client.


À défaut, l’acheteur pourrait prétendre que le vendeur l’a sciemment induit en erreur, ou qu’il a omis de l’alerter sur les limites intrinsèques du produit. Cette information n’est pas un luxe, mais une obligation légale.



obligation de conseil d'un vendeur


Le vendeur doit ainsi démontrer qu’il a présenté les caractéristiques techniques, décrit les conditions d’entretien, précisé la durée de vie, et expliqué pourquoi tel ou tel accessoire est indispensable.

La preuve de l’exécution de l’obligation de conseil


L’un des éléments clefs du contentieux demeure la question de la preuve. Comment établir que le vendeur a rempli son devoir avant la conclusion de la vente ?




Une charge de la preuve pesant sur le vendeur


Les juridictions exigent du vendeur professionnel qu’il apporte la preuve qu’il s’est effectivement acquitté de son obligation. Cette preuve peut être apportée par tous moyens : échanges de courriels, brochures techniques remises avant la conclusion, devis détaillés, notes explicatives annexées au contrat, voire attestations écrites.


L’arrêt du 16 octobre 2024 souligne clairement que de simples déclarations orales, a fortiori formulées tardivement ou non étayées par des pièces probantes, ne sauraient suffire. Le vendeur doit démontrer, de manière antérieure à la formation du contrat, qu’il a exécuté son obligation.

L’insuffisance de simples affirmations orales


La jurisprudence a déjà eu l’occasion de censurer des décisions qui se contentaient d’accepter, comme preuve de l’information préalable, des allégations tardives du vendeur.


Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation en 2024, le vendeur prétendait avoir averti oralement l’acheteur du besoin d’entretenir le mobilier. Or, les éléments fournis (un constat d’huissier et une facture établis plusieurs années après la vente) ne démontraient pas que l’information avait été donnée avant la conclusion du contrat.


La Cour a donc cassé la décision d’appel, rappelant que c’est au vendeur d’établir, de manière certaine, le caractère complet et éclairé de son conseil initial.

Les conséquences juridiques du manquement au devoir de conseil


Le défaut d’information, s’il est avéré, n’est pas sans conséquence. L’acheteur peut en tirer argument pour remettre en cause le contrat.


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Les sanctions civiles


En cas de manquement avéré, l’acheteur peut demander la résolution de la vente sur le fondement des articles 1217 et suivants du Code civil, ou invoquer le dol si le vendeur a sciemment omis de préciser une caractéristique essentielle du bien.


La résolution libère l’acheteur de l’obligation de payer, tandis que le vendeur doit reprendre le bien et rembourser les sommes perçues.


La résolution de la vente


L’annulation pure et simple du contrat demeure l’arme la plus radicale. Elle trouve à s’appliquer notamment lorsque le manquement du vendeur a empêché l’acheteur de faire un choix éclairé.


Dans l’arrêt du 16 octobre 2024, la Cour de cassation a fermement rappelé que la charge de la preuve pèse sur le vendeur, de sorte que s’il échoue à démontrer le respect de son devoir de conseil, l’acheteur est fondé à demander la résolution.


Vers une sécurisation des transactions professionnelles


Pour prévenir tout litige, le vendeur professionnel se doit d’adopter certaines bonnes pratiques. Il ne s’agit pas d’alourdir inutilement la relation commerciale, mais de sécuriser juridiquement la transaction.


Les bonnes pratiques précontractuelles


Le vendeur doit s’enquérir dès le premier contact des besoins précis du client, lui poser des questions sur l’environnement d’utilisation, la fréquence d’entretien possible, les contraintes climatiques, et fournir une documentation claire.


Il est vivement conseillé d’établir un devis ou une fiche technique qui rappellera les conditions d’entretien, la résistance du produit, sa durabilité dans un environnement agressif.


  • Noter par écrit les besoins exprimés par l’acheteur

  • Remettre une documentation technique détaillée

  • Fournir des recommandations d’entretien adaptées

  • Insister sur les limites du produit face à certaines conditions extrêmes

  • Conserver une trace de tous les échanges préalables à la vente


L’importance d’une traçabilité écrite


La rédaction de documents écrits constitue un enjeu stratégique. Factures, fiches conseils, courriels échangés avant la signature… Autant de preuves solides si un différend survient ultérieurement. Le vendeur devrait toujours laisser une empreinte documentaire qui démontre qu’il n’a pas vendu à l’aveugle, mais qu’il a pris soin d’orienter l’acheteur, en l’avertissant des contraintes réelles du produit.


L’évolution prévisible de la jurisprudence


Les décisions rendues ces dernières années indiquent un durcissement progressif de la position des tribunaux. L’objectif est d’instaurer une relation plus équilibrée entre vendeurs et acheteurs, et d’éviter que les professionnels ne se défaussent de leurs responsabilités.


La cohérence avec d’autres décisions


Plusieurs arrêts antérieurs, tant en matière de vente de matériel industriel que de fournitures techniques, insistent sur la même idée : le vendeur, en sa qualité d’expert du produit, doit assumer une part importante de l’information précontractuelle.


Les juridictions civiles, tant la première chambre civile que la chambre commerciale, se rejoignent dans leur approche. Le point saillant est que l’acheteur, même professionnel, n’est pas forcément averti des spécificités du bien vendu, surtout s’il s’agit d’un produit complexe ou exposé à des conditions d’utilisation exigeantes (salinité, humidité, températures extrêmes…).


Le renforcement de la protection de l’acheteur


Au fil des arrêts, la Cour de cassation réaffirme que le professionnel doit anticiper les difficultés susceptibles de survenir lors de l’utilisation du bien. Cette position vise à protéger l’acheteur de mauvaises surprises, et à encourager la transparence.


Le mouvement va probablement se poursuivre, avec une jurisprudence de plus en plus exigeante quant à la preuve de l’information fournie par le vendeur.


Certains praticiens prédisent que la plus grande rigueur exigée en matière d’obligation de conseil constituera un standard inévitable du commerce professionnel, obligeant vendeurs et distributeurs à ajuster leurs pratiques internes.



Conclusion


L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 octobre 2024, sous le numéro 23-15.992 F-D, réaffirme avec force le principe selon lequel le vendeur professionnel doit prouver qu’il a exécuté son obligation de conseil. Cette exigence se manifeste aussi bien dans la phase précontractuelle que dans l’exécution de la vente elle-même.


Le vendeur ne peut pas simplement compter sur ses déclarations orales ou sur des documents tardifs ; il lui faut établir, avant la conclusion du contrat, que l’acheteur a reçu toutes les informations utiles.


Cet impératif protège l’acheteur, qui bénéficie ainsi d’une garantie renforcée quant à l’adéquation du bien avec l’usage envisagé, et incite le vendeur à la prudence, à la diligence et à la transparence. Le résultat final vise à promouvoir des relations commerciales saines, équilibrées et durables, fondées sur la confiance, l’information et le respect mutuel.

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