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La nouvelle approche du licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé

Photo du rédacteur: Le Bouard AvocatsLe Bouard Avocats

Licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé : trois points clés


  • Révocation de l’obligation de reclassement : Le Conseil d’État n’impose plus à l’employeur de chercher un autre poste pour justifier un licenciement fondé sur l’insuffisance professionnelle.

  • Exigence d’adaptation avérée : L’administration contrôle que le salarié protégé ait bénéficié de formations et d’un accompagnement sérieux, conformément aux principes du Code du travail (article L 6321-1).

  • Nécessité d’un motif objectif et indépendant du mandat : L’employeur doit prouver la gravité et la persistance de l’insuffisance professionnelle, sans lien avec l’exercice des fonctions représentatives.


L’insuffisance professionnelle, motif non disciplinaire relevant de l’impossibilité d’exécuter correctement le travail confié, vient de connaître un nouveau tournant lorsqu’elle concerne un salarié protégé. Par un récent arrêt du 2 décembre 2024 (n° 487954), le Conseil d’État opère un revirement de jurisprudence : l’obligation de reclassement, autrefois imposée à l’employeur, n’a plus lieu d’être dans ce contexte précis.


Cet article vise à présenter les tenants et aboutissants de cette évolution, en détaillant notamment les règles applicables au salarié protégé, le rôle de l’autorité administrative et la portée concrète de l’obligation d’adaptation désormais requise.







Contexte général et définition de l’insuffisance professionnelle


Nature de l’insuffisance professionnelle


L’insuffisance professionnelle s’entend de la difficulté persistante qu’éprouve un salarié à assumer correctement les missions pour lesquelles il a été recruté. Contrairement à une faute disciplinaire, elle ne traduit pas une volonté délibérée de manquer à ses obligations.


Elle se caractérise plutôt par des lacunes récurrentes ou une inadaptation manifeste, telle qu’une série d’erreurs ou une incapacité à atteindre les objectifs fixés.


Statut de salarié protégé


Lorsque le salarié concerné est investi d’un mandat représentatif (délégué syndical, membre du comité social et économique ou titulaire d’un autre mandat), il bénéficie d’une protection légale renforcée.


L’employeur doit alors solliciter l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail avant toute rupture. Pour une éventuelle demande de précision sur le sujet, faites appel à un cabinet d'avocat en droit du travail Versailles.


Ce régime découle d’un principe selon lequel le salarié protégé agit au nom de l’ensemble des travailleurs, justifiant un contrôle strict de la justification avancée pour son licenciement.

Le revirement de jurisprudence : disparition de l’obligation de reclassement


Ancienne position et son fondement


Pendant de nombreuses années, la jurisprudence imposait à l’employeur, dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié protégé, non seulement de démontrer l’inaptitude de l’intéressé à remplir correctement ses fonctions, mais aussi de justifier d’une recherche de reclassement.


Cette exigence, fruit d’une construction prétorienne, ne figurait pas expressément dans le Code du travail. Pourtant, l’inspecteur du travail vérifiait l’effectivité de cette recherche comme condition de validité de l’autorisation de licenciement.


Nouvelle approche du Conseil d’État


Le Conseil d’État, dans sa décision récente, rappelle que le Code du travail ne prévoit l’obligation de reclassement qu’en cas de licenciement économique ou d’inaptitude d’origine médicale.


Dès lors, imposer à l’employeur un reclassement pour insuffisance professionnelle constituait une extension non prévue par la loi. Le juge administratif considère désormais que l’employeur doit uniquement respecter l’obligation d’adaptation, ce qui modifie sensiblement le contrôle opéré par l’inspecteur du travail.



Incidences pour l’inspecteur du travail


L’inspecteur du travail se bornera donc à vérifier :


  • Que l’insuffisance alléguée est avérée, au regard des fonctions exercées.

  • Que l’employeur n’a pas dissimulé un motif discriminatoire en lien avec le mandat représentatif.

  • Que l’employeur a bien mis en œuvre son obligation d’adaptation, l’article L 6321-1 du Code du travail précisant que tout salarié doit être formé et accompagné dans l’évolution de son poste.


Aucune preuve d’une recherche de reclassement ne sera plus requise pour ce motif précis.

L’obligation d’adaptation : un critère essentiel


Contenu et finalité


L’obligation d’adaptation vise à ce que l’employeur propose au salarié les formations et soutiens nécessaires pour combler d’éventuelles lacunes et s’adapter aux évolutions de l’organisation. Il peut s’agir, par exemple, de :


  • Sessions de formation sur un nouveau logiciel.

  • Mise à disposition de supports pédagogiques pour un poste inédit.

  • Accompagnement d’un tuteur en interne lors d’une promotion soudaine.


Sans ces aménagements, invoquer une insuffisance professionnelle serait prématuré. Le salarié doit d’abord bénéficier d’un laps de temps suffisant pour s’approprier les compétences exigées.


Limites de l’obligation d’adaptation


Il ne s’agit pas, pour l’employeur, de formuler une proposition de reclassement au sens économique ou médical, mais de vérifier que l’intéressé a reçu les moyens raisonnables de combler ses lacunes. Si, malgré un soutien adéquat, le salarié protégé ne parvient toujours pas à remplir les objectifs, la conclusion d’une insuffisance professionnelle devient licite.


Le mandatement représentatif ne le met pas à l’abri d’un licenciement justifié, dès lors que l’employeur apporte la preuve de cette inadaptation persistante.


Portée pratique de la nouvelle jurisprudence


Conséquences pour l’employeur


L’employeur, pour être autorisé à licencier un salarié protégé pour insuffisance professionnelle, doit désormais :


  • Démontrer l’existence de manquements importants et durables.

  • Justifier d’actions concrètes en matière de formation et d’accompagnement.

  • Prouver l’absence de discrimination ou de lien avec le mandat.


Il n’a plus à prouver l’impossibilité de reclasser le salarié, ce qui allège la procédure, tout en soulignant l’importance d’un suivi réellement personnalisé.


Rôle de l’inspecteur du travail


Le contrôle de l’inspecteur du travail se concentre alors sur :


  • La matérialité des défaillances professionnelles.

  • L’effectivité de l’obligation d’adaptation et l’éventuelle possibilité d’autres tâches mieux adaptées, si cela reste cohérent avec les capacités de l’intéressé.


L’objectif demeure de vérifier que l’entreprise n’évince pas un représentant du personnel sous couvert d’une simple insuffisance, alors que le motif serait lié à son mandat.

Regard sur la jurisprudence judiciaire


La jurisprudence de la Cour de cassation, s’agissant des salariés ordinaires, exige elle aussi que l’employeur respecte l’adaptation prévue par l’article L 6321-1 du Code du travail avant de retenir l’insuffisance professionnelle. La cohérence entre juge administratif et juge judiciaire s’en trouve ainsi renforcée.


Conclusion


Ce revirement de jurisprudence marque un tournant dans la façon de traiter l’insuffisance professionnelle d’un salarié protégé. Le Conseil d’État clarifie enfin la portée réelle de l’obligation d’adaptation, en écartant toute contrainte de reclassement injustifiée.


Cette évolution répond à la nécessaire cohérence entre les règles législatives et la pratique du contentieux administratif, tout en maintenant une protection renforcée pour les salariés investis d’un mandat. Pour l’employeur, cette décision impose une vigilance particulière quant à la qualité de la formation et de l’accompagnement offerts.


Si ces efforts ne suffisent pas à résorber l’insuffisance professionnelle, l’autorité administrative pourra autoriser le licenciement, à condition que l’on respecte la procédure et les droits du salarié.


L’enjeu consiste à concilier l’intérêt général de la représentation du personnel avec la capacité de l’entreprise à écarter, au terme d’une démarche rigoureuse, les profils ne répondant pas aux exigences de leur poste.

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